Momo Dridi était une pointure de la voyoucratie. Un gangster à l’ancienne. Avec son accent titi parisien à la Gabin, il paraissait tout droit sorti d’un polar des années 50. Proche du milieu corso-marseillais et des manouches, c’était un as du braquage, de la castagne, et de l’extorsion. Une légende du crime qui n’a jamais trempé dans le trafic de drogue. Son point d’honneur. En son temps, ce natif de Tunisie élevé à la dur à Montreuil, en banlieue parisienne, a même figuré au « top 10 » dressé par la BRB (Brigade de répression du banditisme). Le totem d’authentiques loubards. Soldat durant la guerre du Liban, champion du monde de kickboxing de 1994 à 2004, écrivain, journaliste sportif, acteur de superproductions ayant tourné pour Luc Besson, taulard, jet-setteur introduit dans la haute société par le gigolo napolitain Massimo Gargia, patron de boîte de nuit, père de famille… Momo Dridi aura vécu mille vies, et gagné un surnom, celui du « turbulent. » Réputé proche du couple Balkany, de Silvio Berlusconi, de Christophe Rocancourt ou encore de Bernard Tapie, Momo était surtout un ami. En janvier 2020, je lui dédie mon ouvrage En route avec le patron (éditions Plon). Fort malheureusement, le bandit de grand chemin a été stoppé net dans son ascension. Le 5 décembre 2016, son corps a été retrouvé dans son appartement de Palavas-les-Flots, transpercé d’une balle, qui lui aura été fatale. La bonne nouvelle, c’est que la Justice a récemment décidé de le ressusciter (et ce n’est pas une blague).
Haut les mains ! Tous aux abris ! Momo Dridi est revenu à la vie !
Loin d’être une thèse abracadabrantesque lancée à la hâte, ce postulat découle d’une décision de Justice, prononcée par le Tribunal judiciaire de Paris, le 23 juin 2021. À cette date, le boxeur franco-tunisien a été condamné à 45 000 euros d’amende pour des faits d’occupation frauduleuse d’un logement social, situé rue Camille Pissaro dans le 17e arrondissement de Paris, et prétendument survenu entre le 30 avril 2020 et le 19 mars 2021.
La présente procédure a été ouverte le 19 mars 2021 à la suite d’une plainte déposée par le bailleur social parisien, Paris-Habitat OPH, qui accusait l’ancien malfrat d’avoir squatté le logement public à loyer modéré, autrefois attribué à son père adoptif, Claude Dridi.

C’est ainsi que le 24 juin 2021, Jean-Claude Kazubek, le juge des contentieux de la protection en charge des litiges relatifs aux baux d’habitations, émet une ordonnance d’expulsion à l’encontre de Momo Dridi, le menaçant de recourir « à l’assistance d’un serrurier de la force publique si besoin est. »
Seul problème : l’ex-sportif de haut niveau fiché au grand-banditisme est décédé brutalement voilà maintenant six ans, soit quatre années avant que son père ne succombe lui-même des suites de la Covid-19, le 30 avril 2020.
Comment une telle aberration est-elle possible ?

Condamné sur la base de délits imaginaires ?
Au petit matin du lundi 5 décembre 2016, un individu armé non-identifié surgit au domicile de Momo « le turbulent » Dridi à Palavas-les-Flots, dans le département de l’Hérault, et lui inflige son seul et unique K.O. Le quadruple champion du Monde de kick-boxing (77 combats pour autant de victoires) est transpercé d’une balle de gros calibre, le laissant raide mort.
Le projectile a traversé sa poitrine, juste au-dessus du cœur, avant de se loger dans un mur. Il avait 48 ans. Un meurtre largement médiatisé. Le 9 décembre 2016, le quotidien régional Midi Libre va jusqu’à diffuser la photo de son cadavre encore fumant de la foudre qui l’a frappé, étendu sur un brancard, recouvert d’un linceul.

Au reste, le tireur n’a jamais été appréhendé. Le mobile du meurtre n’a pas été établi, non plus.
Hormis de vulgaires rumeurs selon lesquelles Momo « le turbulent » Dridi se serait adonné au racket d’établissements nocturnes, et qu’il aurait pu jouer un rôle dans l’affaire du financement libyen de la campagne présidentielle de 2007, rien de solide. Le néant. À ce jour, aucun élément concret sur les circonstances ayant motivé son exécution n’a été dégagé par les enquêteurs de la police.
Si l’enquête sur le meurtre de Momo Dridi – au casier déjà long comme le bras – est au point mort, la justice, elle, ne s’est visiblement pas gênée pour l’enfoncer, en dépit du bon sens. Le 23 juin 2021, celle-ci l’a effectivement condamné post-mortem à s’acquitter d’une amende de 1 200 euros au bénéfice de Paris-Habitat OPH.
Ce n’est pas tout.
La justice condamne également le défunt à – je cite – « payer (au bailleur social) une indemnité d’occupation égale au montant du loyer qui aurait été du si le bail s’était poursuivi, augmenté des taxes et charges diverses et courantes, soit la somme de 659, 72 euros pour le logement, et celle de 51,52 euros pour l’emplacement de stationnement pour la période échue depuis le décès de Monsieur Claude Dridi jusqu’au prononcé du jugement, et une indemnité d’occupation au moins égale au montant du loyer qui aurait été du si le bail s’était poursuivi, majoré de 30 % et augmenté des charges diverses et taxes courantes à compter de la date du jugement à intervenir et jusqu’à la libération complète effective des lieux litigieux, en ce compris la remise des clés. »
En d’autres termes, feu Momo Dridi serait supposé revenir d’outre-tombe pour s’affranchir d’une amende d’environ 45 000 euros. Or, la procédure ne tient pas la route.
Légalement, aucune poursuite ne saurait être engagée à l’encontre d’un défunt, dont le décès doit entraîner l’extinction de l’action civile, d’autant plus au regard de faits postérieures à sa mort.
Sa famille contrainte de prouver sa mort

La Justice française trouble le repos d’un défunt en le condamnant pour des délits imaginaires sans qu’il puisse s’explique à la barre. Elle empêche ma famille de faire son deuil en remuant le couteau dans la plaie. C’est une erreur judiciaire.
Ces paroles énergiques, empreintes d’une noble colère, sont celles de Mouna Zgaren, la cousine de cette légende du crime, assassinée le 5 décembre 2016.
« Comment peut-on nier l’évidence en accusant mon cousin pour l’occupation illégale d’un appartement en 2020, sachant qu’il gît sous terre depuis six ans ? Il y a une magouille quelque part, se désole-t-elle, évoquant un simulacre de justice. Toute cette affaire n’a strictement aucun sens. D’une part, Momo a été tué par balle, le 5 décembre 2016. Son meurtre n’est pas passé inaperçu. Tous les plus grands médias se sont emparés de l’affaire ! Son cadavre a même été exhibé à la télé. D’autre part, mon cousin n’était même pas titulaire du bail de l’appartement que la justice l’accuse d’avoir squatté. Le locataire, c’était son père adoptif, Claude Dridi, décédé quatre ans après lui, dont j’étais la tutrice légale depuis le 17 novembre 2019. Comment la justice peut-elle condamner Momo Dridi sachant qu’il est décédé ? Jamais je n’ai été avertie d’une quelconque procédure. Jamais ! »
Face à l’incohérence de la situation, Mouna Zgaren n’a nul autre choix que de se rabaisser à prouver que Momo « le turbulent » a bien eu rendez-vous avec la grande faucheuse, le 5 décembre 2016. « J’ai déboulé au commissariat de Police du 17e arrondissement de Paris, où je leur ai montré l’acte de décès de Momo. Le policier a même fait une recherche sur Google. Il a eu beau lire tous les articles de presse, mais rien n’y a fait », relate-t-elle, indignée par de telles élucubrations aussi irresponsables que provocatrices.
Les documents que Mouna Zgaren me tend sont pourtant édifiants à bien des égards.
Un acte et un certificat de décès ont bel et bien été établis et enregistrés par l’institut médico-légal (IML) de Montpellier au nom de Mohamed Dridi, les 6 et 19 décembre 2016. C’est là, écrit noir sur blanc :

« Le 5 décembre 2016 à 9h50, est décédé en son domicile, à Palavas-les-Flots (Hérault), 4 rue Frédéric Mistral, Mohamed, Tahar Dridi, né à Tunis (Tunisie), le 9 mars 1968. »

Il est un autre fait, indéniable, qui symbolise tout le caractère dérisoire de la situation. Momo « le turbulent » Dridi a bien été inhumé le 23 décembre 2016 au cimetière du Djellaz de Tunis, en Tunisie, son pays natal. « C’est moi qui l’ai enterré », tonne Mouna Zgaren.
En voici la preuve par l’image.

« Sa pierre tombale a été gravée à la fois en arabe et en français, précise Mouna Zgaren. Même pas besoin de payer un traducteur assermenté pour réussir à lire ce qui crève les yeux. Momo Dridi est mort, jure-t-elle, en brandissant les photos de la tombe où il repose depuis 2016. Conformément au souhait de Momo, sa tombe a été creusée juste à côté de celle de son père biologue. Sa dernière volonté. »

« Face à une telle évidence, cette nouvelle condamnation, c’est un crachat sur sa tombe », déplore Mouna Zgaren, à raison, allant jusqu’à accuser la justice d’atteinte à la mémoire d’un mort.
Les documents judiciaires, tous marqués du sceau du greffier en chef, sont pourtant formels. Momo Dridi a bien été reconnu coupable d’avoir occupé « sans droit ni titre » le logement social de son père adoptif à compter du 30 avril 2020, soit quatre ans après son exécution, à Palavas-les-Flots.
Comment une simple rumeur a-t-elle pu prendre la consistance d’un procès ? Ce pourrait-il que Momo Dridi ait simulé sa propre mort ?
« C’est moi qui me suis occupée de l’acheminement de sa dépouille jusqu’en Tunisie. Je l’ai vue. Le voici juste avant de rejoindre sa dernière demeure », réplique aussi sec Mouna Zgaren, en tendant une photo sur son téléphone du « turbulent », le visage blême, les paupières closes, inanimé.
Mais alors, d’où cette information insensée tire-t-elle son origine ? Que s’est-il passé pour qu’il en soit autrement ? La réponse à ces questions dépasse l’entendement.
Un fantôme authentifié par voie d’huissier
Après enquête, il apparaît que la rumeur trouve son fondement dans le versement au dossier d’une pièce faisant office d’élément de preuve au soutien des prétentions du bailleur social, Paris-Habitat OPH. À savoir : un constat d’huissier de justice. Malgré la disparition soudaine du « turbulent » en 2016, le commissaire de justice atteste, contre toute logique, avoir échangé personnellement avec lui, le 5 octobre 2020.
Dans le cadre de la constatation de l’état d’occupation du logement, un huissier de justice s’est rendu sur les lieux et a constaté l’occupation du logement par Monsieur Mohamed Dridi, lequel n’a toujours pas rendu les lieux, bien que le contrat de location ait été résilié de plein droit par le décès du locataire.
Copie du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris

Autrement dit, il existe ici-bas un huissier capable d’entrer en contact avec l’Au-delà. Un miracle ! Le comble du ridicule est atteint lorsque ce dernier se targue, tel saint Pierre, d’avoir accompli le fulgurant exploit de faire confesser au « turbulent » les délits qui lui étaient reprochés. Voyez plutôt :
Mohamed Dridi, interrogé par la SCI LPF et associés, huissiers de Justice à Paris, lors de son passage dans les lieux le 5 octobre 2020, a confirmé occuper le logement litigieux depuis au moins 4 mois, soit à partir de juin 2020 précisant cette occupation.
Le compte rendu du jugement
Un comble, quand on sait que le mis en cause était plus du genre à sortir « la boîte à gifles », comme il le répétait à l’envi, qu’à passer à table à la première alerte.

Après vérification, il apparaît que cette prouesse loufoque est l’œuvre d’un huissier de justice agissant pour le compte de la SCP LPF et associés, dont l’étude se situe dans le 3e arrondissement de Paris.
Si l’huissier voit des fantômes, ce n’est pas mon problème. Plutôt que de participer à faire condamner un mort, il devrait plutôt consulter un psy, et fissa !
Mouna Zgaren, cousine de Momo Dridi
En stylistique, cela s’appelle une prosopopée : une figure de style par laquelle un auteur s’arroge le droit de faire parler un mort.
« En droit pénal, la fabrication et l’utilisation de faux documents ayant des conséquences juridiques, cela s’appelle surtout du faux et d’usage de faux », assène, à raison, Mouna Zgaren. Un délit passible de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende.
Effectivement, l’article 441-1 du Code pénal stipule que : « constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques. »
L’article 441-12 du Code pénal prévoit également que les personnes morales, tel le cabinet d’huissiers LPF et associés, peuvent être déclarées coupables du délit de faux et d’usage de faux, se voir infliger une amende dont le montant est porté au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques. Le tout, assorti d’une interdiction d’exercer une activité professionnelle.
Pour connaître le fin mot de cette énigme, je décide en dernier ressort de prendre attache avec la SCP LPF et associés à dessein de m’entretenir avec le commissaire de Justice exerçant dans l’office. Malheureusement, la société n’a pas souhaité répondre à mes questions.
Le « turbulent » confondu avec son fils ?
Tout cela amène à se poser une question : comment un jugement a-t-il pu être motivé sur la base de tels contre-sens, somme toute aisément vérifiables ? Selon Mouna, la logique est le suivante :
Après l’assassinat de Momo, son fils Sofiane, 29 ans, a eu peur d’être pris pour cible à son tour. Il craignait pour ses jours. Il lui est donc parfois arrivé de trouver refuge dans l’appartement de son grand-père, à Paris. Momo et Sofiane se ressemblent comme deux goutter d’eau. Ce n’est pas un fantôme que cette huissière a vu. C’était peut-être son fils, Sofiane.
Mouna Zgaren, cousine de Momo Dridi.

Serait-ce là l’explication rationnelle ?
De son côté, pourtant, Sofiane Dridi réfute mordicus l’hypothèse émise par sa tante. Sa réponse est sans appel.
Non, je n’ai jamais croisé d’huissier. Jamais personne ne s’est présenté à moi.
Sofiane Dridi, fils du gangster Momo Dridi.
Au vu de ces éléments, il apparait judicieux de se demander si une tierce personne n’aurait pas usurpé l’identité de Momo Dridi à des fins d’amusement. « Pas que je sache. Et, quand bien même cela serait le cas, comment la justice aurait pu prendre une simple blague au pied de la lettre ?, se questionne Mouna Zgaren. Ce que je sais, c’est qu’une enquête sociale a été diligentée à la demande du juge. Là, plusieurs voisins ont déclaré avoir formellement identifié Momo Dridi, ce qui est naturellement impossible. »
Ce procès aux relents absurdes aurait pu rester anecdotique s’il n’y avait pas une infime chance que cela débouche sur de tragiques impasses. Car si la résurrection du « turbulent » est passé jusque-là inaperçue, la nouvelle pourrait faire quelques remous dans le milieu du banditisme.
Momo avait beaucoup d’ennemis armés jusqu’aux dents, susceptibles de se sentir en danger si la justice les persuade qu’il est toujours en vie. Au-delà de l’inutilité absolue du procès fait à un mort se pose le problème de la poursuite d’une vendetta. Tout cela en revient à peindre une cible dans le dos de mon neveu, Sofiane. Son sosie. Il y a clairement mise en danger de la vie d’autrui.
Mouna Zgaren, cousine de Momo Dridi.

Pour toutes ces raisons, Mouna Zgaren doit se résoudre, par cet article, à sonner le tocsin, cédant à une colère toute légitime devant de telles attaques post-mortem.
S’il arrive malheur à mon neveu, la justice sera tenue pour pénalement responsable.
Mouna Zgaren, cousine du gangster Momo Dridi.